Le droit au travail à l’épreuve de la précarité : vers une protection renforcée des travailleurs vulnérables

Face à la montée de l’emploi précaire, le droit du travail est mis au défi de protéger efficacement les travailleurs les plus vulnérables. Entre flexibilité et sécurité, quelles sont les réponses juridiques apportées à cette problématique sociétale majeure ?

L’évolution du droit du travail face à la précarisation de l’emploi

Le droit du travail a dû s’adapter ces dernières décennies à l’émergence de nouvelles formes d’emploi plus flexibles mais aussi plus précaires. Les contrats à durée déterminée, l’intérim, le temps partiel subi ou encore les contrats « zéro heure » se sont multipliés, fragilisant la situation de nombreux travailleurs. Face à ce constat, le législateur a progressivement renforcé l’encadrement juridique de ces formes d’emploi atypiques.

Ainsi, la loi du 8 août 2016 relative au travail a instauré de nouvelles garanties pour les salariés à temps partiel, comme un délai de prévenance minimal pour modifier les horaires. Le Code du travail impose désormais une durée minimale hebdomadaire de 24 heures pour les contrats à temps partiel, sauf dérogations. Concernant l’intérim, la loi Travail a également plafonné le nombre de renouvellements possibles des missions.

La protection sociale des travailleurs précaires : des avancées à consolider

Au-delà du droit du travail stricto sensu, c’est tout le système de protection sociale qui a dû s’adapter pour mieux couvrir les travailleurs précaires. L’assurance chômage a ainsi évolué pour prendre en compte les parcours professionnels discontinus, avec la création des droits rechargeables en 2014. Le principe est de permettre aux demandeurs d’emploi de conserver leurs droits non utilisés en cas de reprise d’activité, même courte.

La portabilité des droits a également été renforcée, notamment en matière de complémentaire santé et de prévoyance. Depuis 2016, les anciens salariés au chômage peuvent conserver pendant 12 mois leur couverture d’entreprise. Néanmoins, des inégalités persistent entre salariés stables et précaires dans l’accès à certaines prestations sociales.

Les nouveaux défis posés par l’ubérisation de l’économie

L’essor de l’économie collaborative et des plateformes numériques soulève de nouvelles questions juridiques quant au statut et à la protection des travailleurs. Les chauffeurs VTC ou livreurs à vélo sont-ils des indépendants ou des salariés déguisés ? La Cour de cassation a apporté des premiers éléments de réponse en requalifiant en 2020 la relation entre Uber et un de ses chauffeurs en contrat de travail.

Le législateur a tenté d’apporter des garanties minimales aux travailleurs des plateformes, comme le droit à la formation professionnelle ou la protection contre les accidents du travail. Mais ces avancées restent timides et ne règlent pas la question centrale du statut. Un « tiers statut » entre salariat et indépendance pourrait-il être une solution ?

Vers un renforcement des droits fondamentaux au travail

Face à la précarisation de l’emploi, une tendance de fond se dessine : le renforcement des droits fondamentaux attachés à la personne du travailleur, indépendamment de son statut. Le droit à la déconnexion, consacré par la loi Travail de 2016, en est une illustration. Il s’applique à tous les salariés, quel que soit leur contrat.

Dans le même esprit, la lutte contre les discriminations et le harcèlement moral au travail a été renforcée ces dernières années, avec un élargissement du champ d’application à tous les travailleurs, y compris les stagiaires ou intérimaires. La santé et la sécurité au travail font également l’objet d’une attention accrue, comme en témoigne la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle.

Les pistes d’évolution pour mieux protéger les travailleurs précaires

Plusieurs pistes sont envisagées pour renforcer la protection des travailleurs précaires. L’une d’elles serait de créer un « socle de droits universels » attachés à la personne et non à l’emploi, comme le proposait le rapport Mettling sur la transformation numérique. Cela permettrait de sécuriser les parcours professionnels dans un contexte de mobilité accrue.

Une autre approche consisterait à repenser la notion même de subordination, critère central du contrat de travail. Certains juristes plaident pour son élargissement afin de mieux prendre en compte les nouvelles formes de dépendance économique. Enfin, le développement de la négociation collective au niveau des branches ou des territoires pourrait permettre d’adapter plus finement la protection sociale aux réalités du terrain.

Le droit du travail est à la croisée des chemins. Entre la nécessaire adaptation à un monde du travail en mutation et l’impératif de protection des plus vulnérables, l’équilibre reste à trouver. Les évolutions juridiques des prochaines années seront décisives pour dessiner les contours d’un nouveau modèle social plus inclusif.